Quatrième partie
Rappel
Ces articles sur la ‘’diplomatie’’ peuvent paraitre aujourd’hui révolus aux yeux du lecteur. Je les avais écrits au début des années 2010 à l’intention des diplomates marocains qui font face à l’agit-prop mystificatrice que le pouvoir militaire boukharroubien de l’Algérie mène sur le front diplomatique depuis 1975 contre le Maroc afin de saper son intégrité et son intégration territoriales. En 1982 l’Algérie et la Libye avaient réussi à faire entrer la RASD à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA, ancêtre de l’actuelle Union africaine) par le truchement du S.G de l’époque, le togolais Edem KODJO. Deux ans plus tard, le Maroc quitte l’institution en signe de protestation.
Le diplomate et la mondialisation
Aussi paradoxale que cela puisse paraitre, la mondialisation qui enveloppe les relations diplomatiques est tout à la fois un élément de compétition et un facteur de coopération. Elle stimule la compétition diplomatique entre les Etats qui se font concurrence sur les marchés mondiaux de l’énergie et des autres matières premières. Cette compétition devient de plus en plus féroce sous l’influence des pays émergents (B.R.I.C.S.). Mais la mondialisation devrait susciter des réflexes de coopération, car un Etat ne peut lutter seul contre la pollution maritime, le changement climatique ou les épidémies. Ainsi conviendra-t-il de développer des modalités de coopération, même si cela se fera en fonction des rapports de force.
En dépit de la multiplicité des acteurs, le rôle des Etats reste central. Pour mener à bien une négociation sur un thème horizontal, il convient d’anticiper les positions des Etats ou des acteurs de la société civile, de détecter les alliances, les divisions chez les autres acteurs de la négociation, d’évaluer les possibilités de compromis. Grâce aux réseaux des ambassades et d’une bonne compréhension des enjeux en présence, le Ministère des affaires étrangères est le seul à disposer des capacités globales d’analyse, de synthèse, d’information et de coordination pour assumer ce rôle.
C’est dans cet esprit que les gouvernements doivent absolument créer au sein des ministères des affaires étrangères une ‘’Direction de la mondialisation’’ ad hoc dont les atouts majeurs consisteraient en trois C : Connaissance technique, Coordination et Communication. Elle regrouperait également des services traitant des questions dites transversales, comme les négociations sur l’environnement et le développement durable, l’énergie, la coopération économique régionale et internationale, les institutions financières internationales, les matières premières, la politique scientifique et les migrations internationales. Compte tenu de la technicité de cet état de choses complexes, des fonctionnaires ayant une longue expérience de ces dossiers en assureraient la gestion avec le renfort des économistes. Cette ‘’Direction de la mondialisation’’ travaillerait en étroite relation avec le département de la coordination multilatérale. Celui-ci est le lieu où l’on peut élaborer la synthèse politique entre les différents intérêts contradictoires, où la vision géopolitique peut trouver une place. Périodiquement, une concertation est également à prévoir avec les acteurs non étatiques de la mondialisation, les ONG, les think tanks, les fédérations d’entreprises, les syndicats, la société civile…
Les postes diplomatiques devront, eux aussi, se familiariser progressivement avec les dossiers de la mondialisation. Ainsi est-il utile pour les jeunes diplomates de bénéficier d’une formation assez approfondie sur la mondialisation à l’issue de leur stage. Peut-être qu’un jour l’on pourrait s’inspirer du Danemark, qui vient de nommer des attachés en matière de climat dans ses ambassades situées à Washington et dans quatre pays émergents. Aujourd’hui, il y a des négociations entre 192 Etats à l’ONU, 149 à l’OMC, 27 au sein de l’Union européenne… Les interférences extérieures qui viennent s’ajouter encore à cet ensemble déjà surchargé de règles du jeu devenues plus complexes, sont loin de simplifier les négociations diplomatiques.
Garder les idées claires en négociant en permanence devient le véritable défi du diplomate d’aujourd’hui. Des questions internationales qui sont liées entre elles et qui concernent davantage de pays expliquent bien la montée en puissance des négociations multilatérales. Les missions classiques du diplomate ne disparaissent pas, mais elles doivent tenir compte de leur nouvel environnement qui ne finit pas de se complexifier. La figure du diplomate classique était celle d’un généraliste qui menait son action dans un domaine très vaste : tout ce qui relevait d’un contact avec l’extérieur. Le diplomate d’aujourd’hui conserve cette capacité à percevoir globalement les questions internationales, ce que l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, a bien résumé : avoir une véritable expérience de la négociation, éprouvée sur toute une carrière, suppose une connaissance du passé des négociations et des relations internationales, une connaissance globale et intime à la fois de l’interlocuteur, un savoir-négocier qui s’apprend au fur et à mesure et se transmet. On ne négocie pas seulement avec un ministre de l’Agriculture ou de la Culture, mais avec un pays. Il faut avoir une vision large des autres intérêts qui peuvent contredire les intérêts précis en jeu dans la négociation. Une appréciation globale est indispensable.
La mondialisation qui exige davantage de diplomatie et de négociation dans un monde interdépendant et caractérisé par un nombre croissant d’acteurs et de défis multiples, renforce la nécessité d’une plus grande capacité à négocier avec un nombre important de partenaires.
Saïd CHATAR